Réforme du Code du travail : des accords pour s’adapter au marché
Avec les nouveaux accords destinés à répondre aux nécessités de fonctionnement de l’entreprise, ou à préserver ou développer l’emploi, créés par l’ordonnance 2017-1385 du 22 septembre 2017, les employeurs disposent d’un dispositif particulièrement souple pour s’adapter aux évolutions du marché.
Les accords de réduction du temps de travail, les accords de maintien de l’emploi, les accords en faveur de la préservation ou du développement de l’emploi et les accords de mobilité professionnelle ou géographique interne qui avaient chacun leur régime propre sont fusionnés en un dispositif unique par l’article 3 de l’ordonnance 2017-1385 du 22 septembre 2017 relative au renforcement de la négociation collective.
A défaut de stipulations particulières sur ce point, les dispositions qui suivent sont entrées en vigueur le 24 septembre 2017, lendemain du jour de publication de l’ordonnance.
Quelles finalités ?
Selon le nouvel article L 2254-2 du Code du travail, il s’agit de répondre aux nécessités liées au fonctionnement de l’entreprise, ou de préserver ou de développer l’emploi.
Les conditions de recours à ces accords sont ainsi élargies par rapport à celles des accords auxquels ils se substituent, la notion de nécessité liées au fonctionnement de l’entreprise étant susceptible d’embrasser une grande variété de situations. De façon générale, il s’agit de permettre à l’entreprise de s’adapter rapidement aux évolutions à la hausse ou à la baisse du marché.
Si elle peut être justifiée par des difficultés économiques, la conclusion de ces accords n’est pas subordonnée à l’existence de telles difficultés et peut s’inscrire dans une perspective offensive de créations d’emploi ce qui était déjà le cas des anciens accords de préservation ou de développement de l’emploi.
Où et avec qui conclure un accord ?
Les nouveaux accords sont des accords d’entreprise (C. trav. art. L 2254-2, I). Ce qui semble exclure la possibilité d’en conclure à un autre niveau.
Le nouvel article L 2232-11 du Code du travail semble permettre la négociation de ce type d’accord au niveau d’un établissement. Par ailleurs, en prévoyant, de manière très générale que l’ensemble des négociations prévues par le Code du travail au niveau de l’entreprise peuvent être engagées et conclues au niveau du groupe dans les mêmes conditions, sous réserve d’adaptations, l’article L 2232-33 du Code du travail, non modifié par l’ordonnance, introduit également un doute sur ce point.
Il résulte des articles 11 et 17 de l’ordonnance que ces accords sont soumis dès leur entrée en vigueur aux modalités de validité des accords majoritaires.
A noter : l’article L 2254-2 du Code du travail ne fait plus expressément état d’une phase de concertation ou d’une information préalable des partenaires à la négociation des accords, contrairement à ce qui était prévu par exemple pour les anciens accords de préservation ou de développement de l’emploi. Il est cependant prévu que le comité sociale et économique (CSE) puisse mandater un expert-comptable afin qu’il apporte toute analyse utile aux organisations syndicales pour préparer les négociations relatives à la conclusion de l’accord. L’expert est le même que celui désigné pour la consultation du CSE relative aux projets de licenciement collectif pour motif économique (C. trav. art. L 2315-92, II).
Compte tenu des conséquences qu’ils emportent, il pourrait aussi être utile de faire précéder la négociation d’un accord de méthode au sens de l’article L 2222-3-1 du Code du travail.
Quel contenu et pour quelle durée ?
L’article L 2254-2 du Code du travail encadre peu le contenu des accords et ne définit pas de durée particulière. Sur ces points, on peut penser que les indications qu’il donne viennent en complément des règles générales relatives au contenu et durée des accords collectifs.
Un contenu peu encadré …
L’accord peut (C. trav. art. L 2254-2, I):
– aménager la durée du travail, ses modalités d’organisation et de répartition ;
– aménager la rémunération au sens de l’article L 3221-3 dans le respect du Smic et des minima conventionnels hiérarchiques ;
– déterminer les conditions de la mobilité professionnelle ou géographique interne à l’entreprise.
A noter : la liste des aménagements envisageables est donc vaste et rien ne semble interdire de les combiner entre eux.
Ces nouvelles règles laissent également une latitude certaine dans la définition des aménagements potentiels. Sous réserve du respect du Smic et des minima conventionnels, il n’est prévu ni garantie de rémunération (contrairement à ce qui était prévu pour les anciens accords de préservation ou de développement de l’emploi ou de mobilité interne), ni encadrement de leur baisse éventuelle (ce qui était le cas dans le cadre des accords de maintien de l’emploi). Il n’est pas non plus prévu de maintien de la qualification professionnelle ni de limites imposées à la mobilité comme dans le cadre des anciens accords de mobilité interne.
L’accord doit définir ses objectifs dans un préambule et peut préciser (C. trav. art. L 2254-2, II):
1. les modalités d’information des salariés sur son application et son suivi pendant toute sa durée, ainsi que, le cas échéant, l’examen de la situation des salariés au terme de l’accord ;
2. les conditions dans lesquelles fournissent des efforts proportionnés à ceux demandés aux salariés pendant toute sa durée :
– les dirigeants salariés exerçant dans le périmètre de l’accord ;
– les mandataires sociaux et les actionnaires, dans le respect des compétences des organes d’administration et de surveillance ;
3. les modalités selon lesquelles sont conciliées la vie professionnelle et la vie personnelle et familiale des salariés.
A noter : ne sont pas évoquées, contrairement à ce qui était prévu dans le cadre des accords de mobilité interne, de possibles mesures d’accompagnement à la mobilité (actions de formation, aides à la mobilité géographique, notamment la participation de l’employeur à la compensation d’une éventuelle perte de pouvoir d’achat et aux frais de transport). Mais rien n’empêche les parties à la négociation de les prévoir.
Ne sont pas envisagées non plus les conséquences de l’absence de préambule. Dans le cadre de l’ancien régime des accords de préservation ou de développement de l’emploi, cette absence était expressément sanctionnée par la nullité de l’accord. Il n’en est plus de même pour les nouveaux accords qui relèvent, dès lors, des dispositions de l’article L 2222-3-3 du Code du travail, aux termes duquel l’absence de préambule n’est pas de nature à entraîner la nullité d’un accord.
Indépendamment de ce qui précède, l’accord devra toutefois satisfaire, à notre sens, aux règles générales relatives au contenu des accords c’est à dire, prévoir, en particulier (C. trav. art. L 2222-5 à L 2222-6) :
– les forme et délai de leur renouvellement ou révision ;
– les conditions de leur suivi et des clauses de rendez-vous, dont l’absence ou la méconnaissance n’est toutefois pas de nature à entraîner leur nullité ;
– pour les conventions et accords à durée indéterminée, leurs conditions de dénonciation et notamment la durée du préavis devant la précéder.
…sauf pour les accords modulant le temps de travail
Si l’accord met en place notamment un dispositif d’aménagement du temps du travail sur une période de référence supérieure à la semaine les dispositions des articles L 3121-41 du Code du travail (décompte des heures supplémentaires), L 3121-42 (information des salariés sur le changement dans la répartition de leur durée du travail), L 3121-44 (contenu des accords) et L 3121-47 (délai de prévenance des salariés en cas de changement de durée ou d’horaires lorsque l’accord ne stipule rien sur ce point) s’appliquent (C. trav. art. L 2254-2, II).
Une durée d’application non précisée
L’article L 2254-2 du Code du travail ne précise pas la durée des accords (limitée à 5 ans auparavant pour les accords de maintien et les accords de préservation ou de développement de l’emploi). Il convient donc, à notre sens, de s’en remettre, sur cette question, aux dispositions générales relatives à la durée d’application des accords. En application de l’article L 2222-4 du Code du travail, l’accord peut être conclu pour une durée déterminée ou indéterminée. A défaut de stipulation sur ce point, celle-ci sera fixée à 5 ans.
Quel impact pour les salariés ?
L’employeur doit communiquer dans l’entreprise sur l’existence et le contenu de l’accord (C. trav. art. L 2254-2, IV).
Le texte ne précise pas les modalités de cette communication mais ses termes donnent à penser que l’information des salariés pourra être collective et s’effectuer par tous moyens.
Ceux-ci peuvent accepter ou refuser l’application de l’accord.
Si le salarié accepte l’application de l’accord
Si le salarié accepte l’application de l’accord, les stipulations de ce dernier se substituent de plein droit aux clauses contraires et incompatibles de son contrat de travail, y compris en matière de rémunération (sous réserve du respect du Smic et des minima conventionnels), de durée du travail et de mobilité professionnelle ou géographique interne à l’entreprise (C. trav. art. L 2254-2, III, al. 1)
Contrairement à l’hypothèse du refus, l’article L 2254-2 n’indique rien sur les modalités d’acceptation de l’application de l’accord par le salarié. Mais elles peuvent se déduire de celles prévues pour le refus. Ainsi à défaut de refus dans les règles, cette acceptation pourrait être tacite.
A noter : la substitution aux clauses du contrat de travail soulève des problématiques déjà abordées à propos des anciens accords de développement ou de préservation de l’emploi. Que se passera-t-il à l’issue de la période d’application de l’accord ? Le contrat de travail dans ses composantes (durée du travail, salaire, lieu de travail, notamment) a-t-il vocation à reprendre son cours antérieur ? Cette réactivation du contrat, quelle que soit la période d’application de l’accord, pourra s’avérer impossible, par exemple si le lieu de travail a disparu par suite de la réorganisation de l’entreprise. Quid alors ? Une autre question ne manquera pas de se poser : celle de la situation, par rapport à celle des autres salariés, des salariés recrutés pendant la période d’application de l’accord, pour lesquels la fin de celle-ci ne comporte pas d’incidence contractuelle si leur contrat est conforme à l’accord. Autant de questions qu’il sera bon d’aborder en phase de négociation et de préciser dans l’accord ainsi que le suggère l’article L 2254-2 du Code du travail.
Et si le salarié refuse ?
Le salarié peut refuser la modification de son contrat de travail résultant de l’application de l’accord. Il dispose d’un délai d’un mois à compter de la date à laquelle l’employeur a communiqué dans l’entreprise sur l’existence et le contenu de l’accord pour faire connaître son refus à ce dernier. Ce refus doit être écrit (C. trav. art. L 2254-2, III, al. 2 et IV).
Le salarié qui refuse peut être licencié. Son licenciement ne constitue pas un licenciement pour motif économique et repose un motif spécifique constituant sur une cause réelle et sérieuse. L’employeur doit appliquer la procédure de licenciement individuel pour motif personnel définie par les articles L 1232-2 à L 1232-14 du Code du travail. Sont également applicables à la rupture du contrat les articles L 1234-1 à L 1234-11 (préavis, indemnité compensatrice de préavis et indemnité de licenciement), L 1234-14 (règles spécifiques à certains salariés du secteur public), L 1234-18(dispositions d’application réglant les conséquences du licenciement) L 1234-19 et L 1234-20 (certificat de travail et reçu pour solde de tout compte) du Code du travail (C. trav. art. L 2254-2, V).
En d’autres termes, le motif étant présumé réel et sérieux, le salarié ne pourra éventuellement contester son licenciement qu’en cas de non-respect des règles de procédure auxquelles il est soumis.
Le cas des salariés sous contrat à durée déterminée n’a pas été envisagé. S‘ils sont libres d’accepter l’application de l’accord, leur contrat ne devrait pas pouvoir être rompu en cas de refus. En effet, la rupture anticipée d’un CDD ne peut intervenir que dans certains cas.
Le salarié licencié peut s’inscrire et être accompagné comme demandeur d’emploi à l’issue du licenciement. Il est indemnisé dans les conditions prévues par les accords d’assurance-chômage.
L’employeur abonde le compte personnel de formation (CPF) du salarié dans des conditions et modalités à préciser par décret. D’après le Gouvernement, cet abondement devrait s’élever à 100 heures.
Cet abondement n’entre en compte ni dans le calcul des heures créditées annuellement sur le CPF ni dans le décompte du plafond d’heures de ce compte. (C. trav. art. L 2254-2, VI). L’article L 6323-15 du Code du travail est complété en conséquence.
A noter : on notera l’absence de toute disposition visant à faire bénéficier le salarié de dispositifs d’aide au reclassement (congé de reclassement, contrat de sécurisation professionnelle ou parcours d’accompagnement personnalisé) comme cela avait été prévu dans le cadre des anciens accords de mobilité interne, de maintien de l’emploi ou de préservation ou de développement de l’emploi.
Une absence de suivi spécifique
L’article L 2254-2 du Code du travail ne prévoit aucun suivi spécifique des accords contrairement à ce qui était prévu notamment pour les accords de maintien de l’emploi ou les accords de développement ou de préservation de l’emploi. La définition des modalités de ce suivi fait simplement partie des clauses qui peuvent être insérées dans l’accord lui–même.
Le comité social et économique n’a pas compétence pour examiner les conséquences de l’accord et le comité d’entreprise ne l’a plus.