Coronavirus (Covid-19) : un juge des référés refuse de condamner le locataire au paiement des loyers commerciaux
L’action du bailleur commercial en paiement des loyers dus au titre du deuxième trimestre 2020 se heurte à une contestation sérieuse, estime le juge des référés parisiens, la crise sanitaire rendant nécessaire une adaptation des modalités d’exécution de l’obligation au regard de l’exigence de bonne foi.
1. Le bailleur commercial peut-il obtenir en référé la condamnation du locataire à payer les loyers dus au titre du deuxième trimestre 2020, période pendant laquelle de nombreux commerces étaient fermés ou avaient une activité très réduite en raison du confinement ?
Telle était la question soumise au président du tribunal de commerce de Paris dans les deux affaires ayant donné lieu aux ordonnances commentées (TJ Paris du 26-10-2020 n° 20/53713 et n° 22/55901).
Les faits étaient sensiblement les mêmes : dans un cas, le propriétaire d’un local dans lequel était exploitée une salle de sport agissait en référé en vue d’obtenir le paiement des loyers du deuxième trimestre 2020 ; dans l’autre, c’est l’exploitant d’une parapharmacie qui avait, dès le mois de juin 2020, saisi le juge des référés en vue de voir ordonnée la suspension de son obligation au paiement des loyers, tandis que le bailleur poursuivait reconventionnellement le paiement des loyers des deuxième et troisième trimestres.
L’action en paiement des loyers du 2e trimestre 2020 se heurte à une contestation sérieuse
2. Dans les deux cas, le juge des référés refuse de faire droit à la demande du bailleur concernant les loyers du deuxième trimestre.
Il écarte d’abord un certain nombre d’arguments invoqués par le locataire au soutien d’une suspension ou d’une suppression de son obligation de payer les loyers.
Les dispositions dérogatoires n’interdisent pas l’action du bailleur
3. Le juge relève que, si l’ordonnance 2020-306 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire et à l’adaptation des procédures durant cette même période interdit l’exercice par le créancier d’un certain nombre de mesures d’exécution forcée pour recouvrer les loyers échus entre le 12 mars 2020 et le 23 juin 2020, ce texte n’a pas pour effet de suspendre l’exigibilité du loyer dû par le locataire commercial dans les conditions prévues au contrat. Le loyer peut donc être spontanément payé ou réglé par compensation.
4. S’agissant d’une obligation de paiement de somme d’argent, le moyen tiré de la force majeure ou de la théorie des risques soulevé par le locataire pour solliciter la suspension de ses loyers pendant la période juridiquement protégée est par ailleurs inopérant.
5. Enfin, il n’est pas démontré que le bailleur a manqué à son obligation de délivrance des locaux, le contexte sanitaire, qui ne lui est pas imputable, ne pouvant en lui-même constituer un tel manquement du bailleur.
Mais l’exigence de bonne foi dans l’exécution des contrats la rend irrecevable en référé
6. Le juge des référés rappelle que les contrats doivent être exécutés de bonne foi, ce dont il résulte que les parties sont tenues, en cas de circonstances exceptionnelles, de vérifier si ces circonstances ne rendent pas nécessaire une adaptation des modalités d’exécution de leurs obligations respectives. L’exception d’inexécution, soulevée par le locataire, doit être étudiée à la lumière de l’obligation pour les parties de négocier de bonne foi les modalités d’exécution de leur contrat en présence des circonstances précitées.
7. En l’espèce, dans les deux cas, le juge constate que :
– le secteur d’activité du locataire a été fortement perturbé économiquement par le confinement décidé par les pouvoirs publics et les restrictions des déplacements de sa clientèle ;
– le locataire justifie par des échanges de courriers s’être rapproché de son bailleur pour essayer de trouver une solution amiable.
Il en déduit que la demande en paiement est dès lors sérieusement contestable et rejette la demande formée en référé par le bailleur.
Des précisions sur l’application du droit commun à l’action du bailleur
8. Les décisions du 26 octobre 2020 s’inscrivent dans la droite ligne d’une ordonnance rendue cet été à propos des mêmes questions (TJ Paris 10-7-2020 n° 20/04516 : BRDA 17/20 inf. 18), à laquelle elles apportent toutefois des compléments intéressants en ce qui concerne les arguments susceptibles d’être opposés par le locataire à la demande du bailleur.
9. A cet égard, le juge des référés écarte tant la force majeure – laquelle ne s’applique pas, en principe, à l’obligation de payer une somme d’argent (Cass. com. 16-9-2014 n° 13-20.306 F-PB : RJDA 12/14 n° 886) – que les moyens reposant sur le défaut de délivrance du bien loué, deux arguments que les praticiens évoquent pour venir au secours du locataire commercial (voir G. Allard-Kohn et T. Brault, «?Bail commercial et impayés locatifs pendant la crise sanitaire : les moyens d’action du bailleur?» : BRDA 12/20 inf. 28?; P. Julien, «?Crise du coronavirus : faut-il payer les loyers commerciaux du 2e trimestre 2020???» : BRDA 7/20 inf. 28).
Ainsi, sans donner de vraie indication sur l’étendue de la fermeture des deux commerces en cause (on peut supposer que la salle de sport était totalement fermée, mais pas nécessairement la parapharmacie), les deux décisions écartent toute preuve d’un manquement du bailleur à son obligation de délivrance, lequel ne peut pas résulter, d’après le juge, de la seule réglementation sanitaire. Elles écartent également toute application de la théorie du risque, selon laquelle les risques seraient supportés par le débiteur de l’obligation devenue impossible à la suite de la survenance d’un cas de force majeure ou du fait du prince – en l’espèce, le bailleur – dispensant ainsi le locataire de son obligation corrélative.
Il en résulte que, quel que soit l’angle sous lequel on l’envisage, la force majeure ne constitue pas un remède en matière de bail commercial pour le juge des référés parisien.
10. Le juge examine en revanche l’inexécution par le locataire de son obligation de payer les loyers au regard de l’exigence d’exécution de bonne foi des conventions, et vérifie si les circonstances n’ont pas rendue nécessaire une adaptation des modalités d’exécution des obligations respectives des parties, susceptible d’influencer leur exigibilité.
11. En se fondant sur le même raisonnement, le juge des référés du tribunal judiciaire de Paris avait déjà, cet été, fait droit à la demande en paiement des loyers dans un cas où le bailleur n’avait pas exigé leur paiement immédiat dans les conditions prévues au contrat, avait proposé un aménagement des loyers échus et le report de l’échéance d’avril à la réouverture des commerces, tandis que le locataire n’avait jamais formalisé de demande claire de remise totale ou partielle de sa dette ni sollicité d’aménagement de ses obligations sur une période bien déterminée. Pour le juge des référés, le bailleur avait ainsi exécuté ses obligations de bonne foi (TJ Paris 10-7-2020 n° 20/04516 : BRDA 17/20 inf. 18).
12. Tout est donc affaire de circonstances, et la même analyse conduit ici le même juge à adopter une solution contraire, compte tenu du comportement du locataire et de ses tentatives pour trouver une solution amiable. Par suite, l’obligation du locataire de payer les loyers du deuxième trimestre était sérieusement contestable.
Maya VANDEVELDE (sources Editions Francis Lefebvre – La Quotidienne)